A Tribute To John Cage @ Nam June Paik. 1976

Publié le par Olivier Lussac

A TRIBUTE TO JOHN CAGE, 1973
A Tribute to John Cage est un hommage au compositeur avant-gardiste. Nam June Paik inscrit cet hommage dans une approche de la société contemporaine en concevant cette oeuvre sous la forme d'un programme télévisuel où les documentaires alternent avec des séquences commerciales, en développant des rapports particuliers entre le contenu des documents et le médium vidéo, et en présentant des vidéos performances qui manifestent elles-mêmes une surdétermination du monde contemporain par la télévision et définissent une conception de l'anti-musique qui réfère à John Cage et à Fluxus.
Nam June Paik rencontre John Cage en 1958, alors qu'il compose de la musique dans une conception proche de celles de Bartok et de Schönberg et travaille au studio de musique électronique de la WDR à Cologne. Tous deux ont participé à des manifestations de Fluxus, dont l'esprit imprègne cet hommage. Nam June Paik a été marqué par les conceptions et les concerts de John Cage, dont il retient certaines stratégies de création : la théâtralité et la destruction, le collage, l'électronique, la mise en évidence du médium et du contexte, la performance, la participation du public et le hasard.
La bande commence par l'association des deux personnalités dans la diffusion parallèle de la bande son et de l'image : un récit biographique de John Cage est dit en voix off, tandis qu'apparaissent sur l'écran les séquences du happening First Accident of the 21th Century. Cet accident organisé du premier robot de Nam June Paik de 1963-64 manifeste une violence que l'artiste a souvent manifestée par rapport à John Cage dans ses happenings. Robot 456 est conçu à l'image de l'homme et de la société : d'une part il défèque, il cite des phrases d'hommes politiques et il marche, d'autre part il est construit de composantes mécaniques et électroniques. L'accident inscrit dans le transitoire l'art et les symboles dont est porteuse cette oeuvre sculpturale d'un nouveau genre. Plus loin dans la bande, Nam June Paik casse un piano à l'aide d'un pic et présente ainsi d'une manière forte, empreinte de l'esprit Fluxus, le rapport de l'avant-garde à la tradition.
Des entretiens, enregistrements de concerts et exposés théoriques médiatisent les aspects majeurs de l'oeuvre de John Cage. Au cours d'un entretien, Alvin Lucier, musicien et professeur, présente la théorie de John Cage. Ses paroles sont doublées d'un bégaiement dont il joue musicalement suite à une suggestion du compositeur. Des plans de Woodstock en 1952 réfèrent à la première performance du concert 4'33" montré ici au Harvard Square à New York : ce concert est silencieux, le piano n'est ouvert que pour marquer la durée chronométrée des mouvements de la pièce, qui étaient intitulés 33", 2'40" et 1'20", le silence recentre les spectateurs sur les bruits environnementaux. La théorie du hasard est présentée par le compositeur accroupi sur un trottoir dans une rue de New York : elle est conçue en rapport au jeu chinois du I-Ching et à l'interprétation des configurations produites par un jet de pièces de monnaie ou de buchettes. Sont montrés également : un concert de musique répétitive, un récit puis un chant par John Cage, puis des plans évoquant la musique électronique (une série de magnétophones à bande et un plateau de mixage du son avec ordinateur). Ce parcours sur l'oeuvre du compositeur est entrecoupé d'une page de publicité japonaise pour Pepsy-Cola, de clips de musiques populaires et traditionnelles, occidentales et asiatiques sur lesquelles Nam June Paik intervient en régie vidéo (créant des surimpressions, solarisations, incrustations, etc.).
Nam June Paik incite le téléspectateur à définir sa position par rapport aux expériences dont rendent compte ces documents vidéo. Sur l'enregistrement de 4'33" au Harvard Square, l'artiste renverse la proposition de John Cage en surchargeant l'écran de messages. Il écrit : "This is Zen for TV"1 en référence au concept de Zen Music du compositeur, fondé sur l'idée de détendre l'esprit de l'auditeur au lieu d'ajouter des sensations et des émotions. Puis il crée des tensions et force la perception. Sur la scène urbaine de Harvard Square, il évoque la campagne : "Do you hear a cricket… or a mouse ?"2 et questionne les comportements par : "Open the window and count the stars"3 et une question de Robert Filliou : "Why do you get up this morning ?"4. Le spectateur, recentré sur son contexte et son environnement, appréhende à la fois sa réalité et celle de la télévision qui lui donne accès au concert et par laquelle il échappe à cette expérience du silence. Enfin Nam June Paik tourne en dérision l'hommage : "Dear Mr Cage, do you like to be a caw in Switzerland or a caw in Holland ?"5. TV Bra, une des vidéos performances de Nam June Paik, joue à la fois une parodie d'un monde télévisuel et l'anti-musique. Charlotte Moorman, qui a joué les oeuvres de Cage dans les années 1960, en est la principale figure. Elle porte des écrans de télévision en guise de soutien-gorge et joue du violoncelle, puis elle entre dans un bidon très haut rempli d'eau sur lequel est projetée son image. La vidéo se substitue avec dérision au réel, en redoublant le vêtement puis le corps disparu dans l'eau.
Nam June Paik a rendu de nombreux hommages à John Cage. Dans les années 1960, ce fut d'abord par la chute et la destruction d'un piano sur une scène. Ensuite, lors du concert Etude for Piano (Forte), l'artiste commença à jouer une pièce de Chopin en manifestant son déplaisir, puis il bondit dans un piano ouvert et couché derrière lui avant d'aller dans le public où il tailla la chemise de John Cage et lui versa du shampoing sur la tête ainsi que sur celle de David Tudor, enfin il sortit et téléphona pour annoncer la fin du concert. D'une expression moins théâtrale, les hommages postérieurs à A Tribute to John Cage sont deux sculptures : Cage in Cage in Cage (1989) et John Cage Robot (1990). (Thérèse Beyler)

1 "C'est de la télévision zen."
2 "Entends-tu un criquet… ou une souris ?"
3 "Ouvre la fenêtre et compte les étoiles."
4 "Pourquoi t'es-tu levé ce matin ?"
5 "Cher Mr. Cage, préféreriez-vous être une vache en Suisse ou une vache en Hollande ?"

A Tribute to John Cage
1973, re-edited 1976, 29:02 min, color, sound
A Tribute to John Cage is Paik's homage to avant-garde composer John Cage. A major figure in contemporary art and music, Cage was one of the primary influences on Paik's work, as well as his friend and frequent collaborator. In this multifaceted portrait, Paik creates a pastiche of Cage's performances and anecdotes, interviews with friends and colleagues, and examples of Paik's participatory music and television works that parallel Cage's strategies and concerns. The methodology and philosophies that inform Cage's radical musical aesthetic -- chance, randomness, the democratization of sounds -- are evident as he performs such seminal pieces as 4'33" (of complete silence) in Harvard Square, or throws the I Ching to determine performance sites. Among the collage of elements included in this work are segments from Paik's Zen for  TV; Paik and Charlotte Moorman in early performances, including the TV Bra; and anecdotes from composer Alvin Lucier.

Host: Russell Connor. Guest: Alvin Lucier. Performers: John Cage, Marianne Amacher, Richard Teitelbaum, Pulsa, Charlotte Moorman, David Behrman, David Tudor. Excerpts of work by Cathy Berberian, Jud Yalkut, Francis Lee, David Rosenboom, Jackie Cassen, Stan VanDerBeek, Alfons Schilling. Produced by the New Television Workshop and the TV Lab at WNET/Thirteen.

Publié dans Art vidéo - cinéma

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