Four Songs @ Bill Viola. 1976

Publié le par Olivier Lussac

A travers ces quatre chants, apparaissent un certain nombre de motifs et de thèmes propres à l'ensemble de l'oeuvre de Bill Viola : chant, texture, matérialisation de la mémoire, dépassement des limites apparentes de la perception humaine, inscription d'un temps illimité dans un espace unique, séparation-fusion du corps et de l'esprit, apparitions-disparitions cycliques qui structurent un champ imaginaire et fusionnel entre la naissance et la mort.
Junkyard Levitation (3'11)
Ici le corps de Bill Viola est le noyau, le point fixe, centre réflexif immobile, entouré par un mouvement infime et permanent. Un gigantesque aimant hors champ, dont on perçoit parfois l'ombre projetée sur le sol, fait "léviter" la surface d'un terrain vague jonché de fer, devant une voie ferrée. Pendant que le corps de l'homme reste allongé, horizontal, la terre autour de lui s'élève, exprimant ainsi les mouvements internes au corps, son énergie spirituelle.
Songs of Innocence (9'34)
Songs of Innocence est un chant de l'enfance à deux temps. Une chorale sur la pelouse verdoyante d'une école interprète une comptine. La lumière tombe progressivement sur cette scène "idéale" et la recouvre de nuit. Après le départ des enfants, dans leur trace encore vivante, ne restent plus qu'une flamme et, à côté, un objet non identifiable. C'est alors que les corps fantomatiques de la chorale réapparaissent, s'incrustent en transparence dans la nuit, en esprits, et rejouent leur scène enfantine. Entre le silence et les ténèbres, entre le jour et la nuit, un bouquet d'orchidées et la flamme sur le sol marquent d'une mémoire mortuaire cet espace vide comme un tombeau.
Space Between the Teeth (9'10)
Cette oeuvre est construite à nouveau en deux temps, deux espaces distincts, le passage s'effectuant de l'image du corps manifeste à celle du corps profond. Space Between the Teeth repose sur une stratégie presque mathématique de la perception. Dans un espace clos, Bill Viola assis nous regarde longuement. Soudain il hurle, puis plusieurs fois encore. La caméra recule alors et découvre un couloir interminable. Elle s'arrête enfin. L'homme crie et chaque cri, à intervalles réguliers, provoque par saccades une avancée rapide et bousculée de la caméra jusqu'à l'espace obscur que l'homme a entre ses dents. Après chaque avancée, elle recule jusqu'à un point toujours plus proche de l'homme. A chaque fois que nous pénétrons dans cet espace entre les dents, une autre image intervient, d'abord indiscernable. Plus on se rapproche de l'homme, plus le décalage grandit. Très vite une cuisine apparaît, une table de petit déjeuner. La durée de chaque plan se renverse bientôt entre les deux espaces, donnant plus d'importance à l'image familière de la cuisine où l'homme entre et sort, fait couler l'eau d'un robinet. De nouveau dans le couloir, la caméra a retrouvé sa position lointaine d'origine. Un dernier cri pétrifie l'image en un polaroïd minuscule qui tombe dans la mer, jusqu'à ce qu'une vague l'emporte. Cette oeuvre déplie et replie l'espace et le temps de la perception et se contracte dans l'intervalle d'un cri, en une image fixe, une plaque sensible qui pose le problème de l'idée du réel et de l'instant.
Truth Through the Mass Individuation (10'13)
C'est le corps propre de l'artiste qui sert ici d'objet d'expérimentation, de recherche sur la représentation du temps, son image sonore et la position spatio-temporelle de l'homme dans le monde : simple point lumineux lointain, perdu dans l'immensité d'un stade, élément de la nature se confondant au milieu des rochers et des arbres, immensément petit dans l'espace ou immensément grand dans le temps, par l'écho que ses gestes ou ses cris provoquent. Bill Viola s'inspire des écrits de Carl Jung sur les rapports de l'individu au collectif, capte l'énergie de chaque chose, une tension, une violence larvée. Il amplifie chaque mouvement par l'utilisation du ralenti dans une vision plus large que celle de notre prise de conscience quotidienne et nous restitue, à travers des gestes simples, de courtes scènes élémentaires, un monde intérieur, proprement subjectif, où basculent toutes les valeurs liées à la perception du réel. (Stéphanie Moisdon)

1976, 33 min, color, sound

Junkyard Levitation   1976, 3:11 min, color, sound
Songs of Innocence   1976, 9:34 min, color, sound
The Space Between the Teeth   1976, 9:10 min, color, sound
Truth Through Mass Individuation   1976, 10:13 min, color, sound

In terming these tapes "songs," Viola references the relation of his work to musical structures and to the poetics of Romanticism. Junkyard Levitation is a visual pun on the concept of "mind over matter," as a man attempts to levitate while lying prone in a junkyard. Writes Viola, "Scrap metal technology and video technology are united to temporarily break the known laws of science and prove that psychokinesis is valid within a given frame of reference." Songs of Innocence, which directly references the visionary Romanticism of William Blake, is haunted with symbolic transformations, as shifting light is charted through the passage of a day. Images of children singing on a school lawn dissolve and reappear, hovering at the edge of perception, illusion and reality, evoking what Viola terms "a visual relationship between memory, the setting of the sun, and death."
The Space Between the Teeth is based on the structure of acoustic phenomena and the psychological dynamics of a man screaming at the end of a long dark corridor. With each successive scream, the camera point of view hurtles at high velocity along the length of the hallway in decreasing increments. The corridor and the cinematic structuring of the camera's advance act as metaphors for passage and transition between two worlds, bridged by the individual's cathartic screams. Ultimately, the image of the man at the end of the corridor is transformed into a Polaroid still that is literally washed away.
The title of Truth Through Mass Individuation references Carl Jung. An isolated figure is seen performing successively more aggressive actions -- dropping a cymbal among a flock of pigeons, firing a rifle in a deserted city street. In the fourth and final stage, his luminous image, spotlit against the dark night, merges in the distance with a roaring crowd in an outdoor stadium.
Technical Assistance: Bobby Bielecki. Produced in association with the TV Lab at WNET/Thirteen, New York. Portions produced at Synapse Video Center, Syracuse University.

Publié dans Art vidéo - cinéma

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