In Photography @ Ulay. 1997
IN PHOTOGRAPHY (ULAY), 1997
Film 16 mm de Marjoleine Boonstra
Film en 16 mm tourné et produit par Marjoleine Boonstra, In Photography est une autobiographie et une évocation du mode de travail d'Ulay sous forme d'anthologie filmée. Ce travail s'ouvre, dans un style narratif et anecdotique, sur ses photos de famille et la convocation par Ulay de son propre passé. La caméra balaye plusieurs fragments photographiques de son histoire personnelle, des photos couleur et noir et blanc ou des polaroïds, et montre certains de ses travaux photographiques tandis qu'il parle, en se conformant au principe de l'interview, de lui et de sa vie. L'anthologie est
ponctuée de temps à autre de séquences où l'on voit Ulay en train de rouler dans Berlin, de travailler au Reichstag à ses fameux Photogenen, ou encore d'installer son exposition des Nachtbilder (Photos de nuit).
In Photography ressemble à un collage de ses travaux et de ses souvenirs, de sons originaux, de musique et d'images qui le montrent en train de travailler, mais c'est aussi l'expression d'un regard très personnel qu'il pose sur sa propre vie, nourri de moments clés de son existence et des pensées que lui inspirent certains sujets qui lui tenaient – et lui tiennent – à cœur. Parallèlement à d'anciens travaux de sa période d'Amsterdam, période durant laquelle il a fait ces polaroïds de travestis, il évoque les inflexions et bifurcations de son existence tout en faisant l'inventaire, à travers des images d'automutilations, des photos d'enfants, des vues de ses installations avec des photos de chiens et d'autres travaux, de son activité artistique. Il lui arrive de changer de langue, passant de l'allemand au néerlandais et à l'anglais, comme si ces enregistrements sonores originaux étaient empruntés à des interviews qu'il avait données à différentes époques de sa vie. Ulay parle longuement de son rapport à Berlin et de la façon dont il perçoit la ville, en même temps que se succèdent sur l'écran des images positives et négatives de la Porte de Brandebourg et ses Photogenen.
Deux passages assez longs s'écartent du style habituel du collage, sans doute aussi pour la raison qu'on y voit des travaux récents. La première séquence montre Ulay en train d'exposer directement du papier photo grand format dans le studio d'un musée pour y imprimer les contours de son propre corps, de la même façon que dans sa série de 1990 Wasser für die Toten (De l'eau pour les morts), il avait imprimé directement sur le papier des silhouettes de vases. On le voit préparer le moment où il va exposer le papier et retravailler ensuite les clichés obtenus en redessinant au laser le tracé de son corps. Tandis qu'il examine le résultat de son travail, Ulay en vient à formuler qu'il s'agit peut-être là de son dernier autoportrait. Aussi n'est-ce pas seulement à un retour en arrière, à une anamnèse que nous avons ici affaire, mais à une anticipation et une projection qui, en même temps qu'elles nous livrent certaines pensées d'Ulay, sont entièrement dirigées vers l'avenir.
Le second passage, plus long, se rapporte au projet australien d'Ulay. A son origine se trouve une lettre que l'artiste avait écrite en 1996 à son ami australien Watuma, le doyen d'une tribu aborigène dont il avait fait la connaissance en 1980, tandis qu'il expérimentait avec Marina Abramovic une voie spirituelle. Ulay est très éloquent sur les choses qu'ils ont vécues ensemble et sur la façon dont est née son amitié pour Watuma. Les séquences suivantes le montrent aujourd'hui pendant son voyage dans le désert australien, qu'il intitule "Outback", et projetant de faire, sous la direction de Watuma, des clichés de cérémonies rituelles et de photographier des particularités de la vie de cette tribu aborigène. Tout en traversant le désert en camion, Ulay parle de Watuma, de la vie des aborigènes et de l'importance qu'ils donnent aux ancêtres. Arrivé au village des "Pintupi", il rencontre les femmes de la tribu qui lui apprennent que Watuma se trouve à l'hôpital. En discutant avec elles, il leur parle un peu de son rêve de réaliser des impressions directes sur papier photo pendant leurs danses rituelles. Les femmes se déclarent prêtes à participer. A la nuit tombante, Ulay construit alors des cadres de bois sur lesquels il tend du papier photo qui enregistrera, à la lueur d'un feu qui fonctionnera comme un flash, les silhouettes des femmes en tain de danser.
Le dernier plan montre Ulay rendant visite à Watuma à l'hôpital. On ne peut pas savoir si le vieillard reconnaît l'artiste, dans la mesure où il ne lui parle pas. Ulay promet à son ami, qu'il considère comme un père, de revenir le voir le lendemain. C'est sur cette image que se termine la séquence, de même du reste que le film.
Entre le moment où Ulay entreprit de se livrer à ce bilan de son parcours artistique et celui où le film vit le jour, sa relation personnelle et sa longue collaboration avec Marina Abramovic étaient presque entièrement terminées. C'est la raison pour laquelle une part importante de son parcours n'est pas abordée dans le film. Mais d'un autre côté, la continuité thématique qu'Ulay a su préserver malgré sa longue collaboration avec Abramovic y est très clairement montrée.
Le passage le plus long, celui filmé en Australie, traite une nouvelle fois de la rencontre de la culture occidentale et d'une culture primitive. Même si oralement, Ulay aborde brièvement le sujet, ses actions sont involontairement très éloquentes sur les différences de perception du temps, sur le contraste entre l'impatience et la détermination de la civilisation industrielle et les valeurs et croyances auxquelles sont attachées les sociétés traditionnelles. Aussi, en dépit de la séquence initiale et finale qui, en les montrant en train de marcher, fait des femmes aborigènes le motif central, subsiste l'impression que la civilisation aborigène telle qu'elle apparaît ici reflète une vision occidentale dont elle ne parvient pas à s'émanciper entièrement, et où le choix des choses qui entrent ou non dans le champ visuel continue de faire écran. (@ Lilian Haberer)