Dispositif (G. Agamben-A.-M. Duguet)

Publié le par Olivier Lussac

(cf. Installation)

Le dispositif a plusieurs sens. Celui qui nous concerne possède une signification technologique. C’est, comme l’indique Giorgio Agamben, « la manière dont sont disposées les pièces d’une machine ou d’un mécanisme, et, par extension, le mécanisme lui-même » ou bien « Le dispositif pris en lui-même est le réseau qui existe entre ces éléments »(1). De surcroît, plus le dispositif se donne envahissant pour le sujet regardé, plus il devient imperceptible pour celui qui le commande. En d’autres termes, plus le contrôle s’exerce sur les individus, plus le dispositif devient insaisissable et ingouvernable. C’est Anne-Marie Duguet qui définit pleinement ce terme dans le sens artistique :

« La notion de dispositif est ici centrale. À la fois machine et machination (au sens de la méchanè grecque) tout dispositif vise à produire des effets spécifiques. Cet « agencement des pièces d’un mécanisme » est d’emblée un système générateur, qui structure l’expérience sensible chaque fois de façon spécifique. Plus qu’une simple organisation technique, le dispositif met en jeu différentes instances énonciatrices ou figuratives, engage des situations institutionnelles comme des procès de perception. Si le dispositif est nécessairement de l’ordre de la scénographie, il n’est pas pour autant le fait des seules installations. »(2)

Le dispositif se constitue aujourd’hui comme l’une des formes les plus abouties du développement artistique, à la fois dans une architecture spatiale et temporelle, associant éléments traditionnels et technologies nouvelles. Ses œuvres expérimentent la scène, en multipliant les « surfaces de projection » (Duguet). Il intègre ainsi les corps, les jeux de miroirs, les objets en mouvements, en structurant différents systèmes de captation sonores et visuels. Nous pouvons considérer que ce mécanisme questionne aussi la dimension temporelle et musicale, notamment le rapport entre les musiciens sur scène et la bande électronique, tout comme la confrontation entre la vidéo, le personnage virtuel et les « actants », que sont les jongleurs, les comédiens et les musiciens. Ce jeu subtil entre les différents composants demande donc une analyse approfondie des éléments en co-présence. En ce sens, l’artiste explore une forme de « media multi-dimensionnel », opérant principalement par une mise en œuvre artistique, où la production des images, des sons et des comédiens travaille une fiction réelle et virtuelle dans un processus de relations complexes. La machine-machination, ainsi présentée et développée par le concepteur des trois œuvres, produit des transformations, selon trois types d’opérations. Comme Anne-Marie Duguet le suggère :

1. dans la relation espace/temps entre des opérations directes et différées, qu’elles soient au niveau du son et de l’image ;
2. dans une confrontation entre l’organique et l’inorganique, entre l’espace réel et l’espace virtuel, cette opération qui est formulée de manière fragmentaire dans Schlag ! trouve sa plénitude dans Oscar ;
3. dans l’exploration de l’espace scénique, révélé par les « actants » eux-mêmes. En d’autres termes, comme l’écrit Anne-Marie Duguet : « Ces machines conceptuelles appellent le corps dans leurs mises en scène pour expérimenter, en même temps que le procès de la représentation, diverses modalités du voir/percevoir. Elles créent des conditions d’expériences particulières où le corps entier est mobilisé dans l’activité de perception. »(3) Les spectateurs, tout comme les comédiens sont confrontés tour à tour par la figure virtuelle, élément moteur de la performance scénique.

Roberto Barbanti a interrogé cette dimension multi-mediatique dans différents textes, notamment dans l’article « Les Origines des arts multi-media et la question du dépassement du medium »(4) et dans son ouvrage intitulé Visions techniciennes. De l’ultramédialité dans l’art :

« Nous sommes confrontés à la première forme d’art qui prend réellement en compte, presque au pied de la lettre, ce dépassement du medium : non seulement dans une problématisation abstraite, mais aussi dans une pratique directe. Ce dépassement […] se manifeste donc par la négation de l’ensemble des capacités techniques (au sens d’une connaissance des procédures intimes de fonctionnement d’un instrument, d’un medium), dans une conception de l’activité artistique déliée de toute contrainte de matériau, de langage et de savoir faire. Il s’agit d’un « projet » qui est d’abord volonté d’agir, d’être et de vivre. »(5)

À l’origine, le multi-media semble respecter l’« autonomie de principe des éléments confrontés (sons analogiques ou électroniques, décors, lumières, mouvements, gestes dansés, images vidéographiques ou numériques, gestes, etc.) » Cette définition tire son origine d’un texte fondateur d’Allan Kaprow, Robert Watts et George Brecht, datant de 1957-1958 et intitulé « Project of Multiple Dimensions  ». Les auteurs proposent la conception d’un « media multidimensionnel »(6)

« L’idée du media multidimensionnel, conçue de manière simple, implique l’utilisation de plus d’un medium pour la production de nouvelles expériences esthétiques. […] Au lieu d’explorer les propriétés naturelles du nouveau matériau, l’artiste les a souvent rejeté, en les ajustant dans un moule traditionnel. Cependant, le problème se résout de lui-même dans une investigation des avancées technologiques contemporaines, car il s’agit de découvrir de nouvelles formes pour des expressions artistiques créatrices. […]
I. Son et production sonore
1. Gamme sonore continue, produite électroniquement.
2. Nouvelles structures et nouveaux complexes sonores.
3. Conversion de la gamme sonore en lumière ou en autres gammes.
4. Systèmes stéréophoniques.
5. Mécanismes (instruments) produisant de nouveaux sons.
II. Lumière, incluant la couleur
1. Gamme lumineuse continue, produite électroniquement
2. Nouvelles structures et nouveaux complexes lumineux.
3. Transformation en d’autres gammes.
4. Analyse et production d’images.
5. Nouvelles méthodes de projection et de production colorée.
6. Réexamen de la notation des couleurs.
III. Espace
1. Formulation d’une gamme mouvement-espace-temps.
2. Transformation en d’autres gammes.
3. Un nouvel espace produisant des expressions, comme une fréquence lumineuse, comme une fréquence cinétique, etc.
4. Examen du son et de la lumière comme dimensions spatiales.
IV. Autres
1. Formulation de gammes tactiles et olfactives et d’une relation avec les éléments ci-dessus cités.
2. Mécanismes d’actions vers le public, comme des cellules photo-électriques.
3. Choix de vide spatial, d’absence de sons, etc.
4. Réexamen des matériaux naturels pour leurs possibilités expressives, comme l’eau, les plantes, la terre, etc.
5. Réexamen des matériaux synthétiques, tels que plastiques, peintures, produits chimiques, etc.
6. Examen du champ total de la pyrotechnie et des explosifs.
7. Examen de la relation entre l’espace synthétique et l’espace naturel (espace extérieur).
8. Réexamen des aspects des formes traditionnelles qui peuvent être utilisés dans de nouvelles combinaisons, comme la voix, l’action, la danse, etc. »

© Olivier Lussac

(1) Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Rivages Poche/Petite Bibliothèque, 2007, p. 19 et p. 10.
(2) Anne-Marie Duguet, Déjouer l’image. Créations électroniques et numériques, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, coll. « Critiques d’art », 2002, p. 21.
(3) Anne-Marie Duguet, op. cit., ibidem, p. 25.
(4) Roberto Barbanti, « Les Origines des arts multi-media et la question du dépassement du medium » , article publié par Olivier Lussac, Des scènes plurielles de l’art, Collectif, Paris, Éditions CPEA, 2004.
(5) Cf. Roberto Barbanti, Visions techniciennes. De l’ultramédialité dans l’art, Nîmes, Théétète Éditions, 2004.
(6) Allan Kaprow, Robert Watts et George Brecht, « Project of Multiple Dimensions », document original édité dans le livre de Joan Marter, Off Limits. Rutgers University and the Avant-Garde, 1957-1963, The Newark Museum, Newark, New Jersey et Rutgers University Press, New Brunswick, New Jersey et Londres, 1999.

Publié dans Textes-Définitions

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